Les causes de l’intervention française dans la Guerre d’Indépendance d’Amérique sous le Roi Louis XVI

 

 

 

En février 1778, la France de Louis XVI conclue un traité d’alliance militaire avec Benjamin Franklin, ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique. Louis XVI envoie aux côtés des insurgés américains une armée dirigée par le Comte de Rochambeau et plusieurs flottes de guerre, ainsi que plusieurs millions de livres afin d’aider les insurgés américains à obtenir leur indépendance vis-à-vis de l’Angleterre.                                                                          

  Pourquoi la monarchie absolue incarnée par Louis XVI et sous laquelle une petite minorité de français profite de privilèges importants, alors que la grande majorité de la population souffre de la misère et de nombreuses servitudes, a t-elle pu aider le peuple américain à obtenir son indépendance  et sa liberté ?

 

 

Le rôle de la défaite de la France de Louis XV dans la Guerre de sept ans (1756-63)

 

Carte 1_Les pays belligérants de la Guerre de Sept ans (1756-1763). En vert: France, Espagne, Autriche, Russie, Suède et leurs alliés. En bleu: Grande-Bretagne, Prusse, Portugal et leurs alliés. source: Wikipédia
Carte 1_Les pays belligérants de la Guerre de Sept ans (1756-1763). En vert: France, Espagne, Autriche, Russie, Suède et leurs alliés. En bleu: Grande-Bretagne, Prusse, Portugal et leurs alliés. source: Wikipédia

C’est quasiment une guerre mondiale qui se déroule (voir carte 1) à partir de 1756 en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique et qui oppose dans un premier temps, d’une part l’Angleterre  successivement dirigée par les Rois Georges II puis Georges III (et surtout par le brillant premier ministre William Pitt l’Ancien) et la Prusse de Frédéric II et, d’autre part la France de Louis XV (et le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères puis Premier ministre, le duc de Choiseul), l’Autriche de Marie-Thérèse, l’Espagne, la Russie et la Suède. La France, dont la marine de guerre a décliné sous Louis XV (voir l’article « La marine royale au XVIII e siècle »), perd alors dans les combats ses positions en Amérique (voir carte 2) : Fort-Duquesne, rebaptisée par les anglais Pittsburgh, ainsi que Louisbourg et le Québec, malgré les premiers succès et la résistance, et pour finir le sacrifice du marquis de Montcalm (voir Document 3). La France perd aussi Pondichéry en Inde.

 

Carte 2_ Les positions anglaises et françaises en Amérique du Nord au début de la guerre de Sept ans. Source: Wikipédia.
Carte 2_ Les positions anglaises et françaises en Amérique du Nord au début de la guerre de Sept ans. Source: Wikipédia.
Document 3_ Le marquis de Montcalm a combattu héroïquement les forces anglaises en Amérique du Nord. Peinture de Théophile Hamel (1865). Canadian House of Commons Heritage Collection
Document 3_ Le marquis de Montcalm a combattu héroïquement les forces anglaises en Amérique du Nord. Peinture de Théophile Hamel (1865). Canadian House of Commons Heritage Collection

 

Le traité de Paris (1763) qui met fin à la guerre de Sept ans entraîne la quasi-disparition de l’Empire colonial français: le Québec (« Nouvelle France »), la Louisiane (rive-gauche du Mississippi), les Indes orientales (à l’exception de 5 comptoirs : Pondichéry, Mahé, Chandernagor, Karikal, Yanaon). La France conserve seulement  St Domingue (Haïti aujourd’hui) et St Pierre et Miquelon et récupère la Martinique et la Guadeloupe. L’Angleterre devient donc la première puissance coloniale. Mais la France, qui était la première puissance mondiale sous Louis XIV, peut-elle accepter des conditions aussi dures ou bien ne va-t-elle pas tenter de prendre sa revanche dès que l’occasion se présentera ?

 

 

 

Le rôle de la noblesse libérale d’Europe

 

Lorsque la Guerre d’Indépendance éclate dès 1775 en Amérique entre les colons anglais et l’Angleterre et que les « Insurgents » publient leur Déclaration d’Indépendance en juillet 1776, ainsi que des projets démocratiques, la noblesse libérale d’Europe, acquise au progrès des libertés et lectrice de « L’Encyclopédie » de Diderot et D’Alembert,  se passionne pour cette cause. Il y a alors dans la jeunesse nobiliaire française une attirance quasiment romantique pour l’idée d’aller combattre en faveur des libertés au nouveau monde.

 

 

Document 4_ Le Marquis de La Fayette par Joseph Désiré Court, 1834, Versailles
Document 4_ Le Marquis de La Fayette par Joseph Désiré Court, 1834, Versailles

Le jeune marquis de Gilbert du Motier de La Fayette (Document 4) a en effet épousé la cause des indépendantistes américains dès août 1775 lors d’un dîner, alors qu’il est en garnison à Metz. Il participe à Paris à des sociétés de pensée où des orateurs comme l’abbé Raynal sont très favorables au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En décembre 1776, alors qu’il s’est fait réformer de l’armée française,  La Fayette négocie avec l’ambassadeur américain en France, Silas Deane, son incorporation dans l’armée américaine avec le grade de Major général .A l'âge de 19 ans dès juin 1777, il rejoint les Etats-Unis après des péripéties rocambolesques, sur un navire qu’il a lui-même acheté et qui transporte 6000 fusils, afin de se battre aux côtés du général américain George Washington, alors que le Roi Louis XVI n’est pas encore favorable à une intervention française. Il a été aidé dans cette entreprise par le comte Charles-François de Broglie, ancien dirigeant du « cabinet secret » de Louis XV et favorable à une intervention française. La Fayette prend part activement aux combats des insurgés contre les forces anglaises, jusqu’à la victoire décisive de Yorktown en octobre 1781, finançant une partie de l’entretien de ses soldats sur sa propre fortune. Fait citoyen d’honneur aux EU, le « héros des deux mondes » bénéficie en France et en Europe d’un très grand prestige.

 

Document 5_ Pierre Caron de Beaumarchais vers 1860 par JM Nattier, Paris , source: Larousse
Document 5_ Pierre Caron de Beaumarchais vers 1860 par JM Nattier, Paris , source: Larousse

Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (Document 5), auteur de pièces de théâtre, se passionne lui aussi pour la cause des insurgés américains à partir de juin 1776. Il écrit à ce sujet une correspondance avec Vergennes, ministre des Affaires étrangères où il défend l’idée d’une intervention française. Il devient un intermédiaire entre les insurgés américains et la France. Vergennes lui confie dès juin 1776 un million de livres pour aider secrètement les américains  et lui donne son accord pour livrer des armes aux insurgés américains comme Beaumarchais le relate lui-même :

 

« Messieurs, je crois devoir vous annoncer que le vaisseau l’Amphitrite, du port de 400 tonneaux, partira au premier bon vent pour le premier port des États-Unis qu’il pourra atteindre. La cargaison de ce vaisseau qui vous est destiné consiste en 4 000 fusils, 80 barils de poudre, 8 000 paires de souliers, 3 000 couvertures de laine ; plus quelques officiers de génie et d’artillerie, item un baron allemand, jadis un aide de camp du prince Henri de Prusse ; je crois que vous pourrez en faire un général et suis votre serviteur, C. DE BEAUMARCHAIS.» in Mémoires (source : Wikipédia)

 

 

De nombreux autres officiers français (alors tous nobles) participent  directement à cette guerre lorsque la France de Louis XVI s’y engage à partir de 1778 :

 

 

Le vicomte Louis Marc Antoine de Noailles suit son beau-frère La Fayette en Amérique et y combat les troupes anglaises de 1779 à 81.

 

 

Pierre L’Enfant  est un ingénieur militaire qui participe aux combats dès 1779 à l’âge de 25 ans en tant que major, devient un citoyen franco-américain (il prend le prénom de Peter) et se fait connaître après la guerre comme architecte. Il réalise les plans de la capitale Washington. Il meurt dans sa patrie d’adoption et son tombeau est situé au cimetière national d’Arlington. (Document 6)

 

Document 6_ tombeau de Pierre L'Enfant au cimetière national d'Arlington
Document 6_ tombeau de Pierre L'Enfant au cimetière national d'Arlington

 Louis du Portail, ancien élève de l’école royale de génie de Mézières, devient major-général et conseiller militaire du général Georges Washington et il fonde le corps du génie américain. De retour en France au début de la Révolution, son ami La Fayette le fait nommer ministre de la guerre. Il émigre aux EU sous la Terreur.

 

 Le comte de Ségur, qui est le fils du maréchal de Ségur (ministre de la guerre de Louis XVI), s’enthousiasme pour l’indépendance américaine qui est aussi une révolution en faveur des libertés : « Le pouvoir arbitraire me pèse. La liberté pour laquelle je vais combattre m’inspire un vif enthousiasme et je voudrais que mon pays pût jouir de celle qui est compatible avec notre monarchie, notre position et nos mœurs » écrit-il en 1782. Il s’engage donc dans l’armée du comte de Rochambeau aux EU et devient colonel.

 

Armand-Charles de la Croix de Castries, fils du ministre de la marine Charles-Eugène est colonel sous les ordres du général Rochambeau et participe au siège de Yorktown en octobre 1781.

 

 

Armand Louis de Gontaut Biron, duc de Lauzun (Document 7) se porte volontaire lui aussi pour servir contre l’Angleterre en Amérique. Il dirige en 1780-81 la légion des volontaires étrangers de la marine sous les ordres du comte de Rochambeau et joue un rôle important au siège de Yorktown en octobre 1781. C’est lui qui portera la nouvelle de la victoire franco-américaine au Roi Louis XVI. Ce général, qui a combattu pourtant dans les armées révolutionnaires, sera guillotiné sous la Terreur en 1793.

 

Document 7_Armand Louis de Gontaut Biron, duc de Lauzun, par Joseph Désiré Court (début XIX e s), Versailles
Document 7_Armand Louis de Gontaut Biron, duc de Lauzun, par Joseph Désiré Court (début XIX e s), Versailles

 

Des officiers européens s’investissent également dans la guerre d’Indépendance, comme le polonais Tadeusz Kosciusko (Document 8), qui s’embarque sur un navire affrété par Beaumarchais avec l’accord de Vergennes et participe pendant 7 ans à la guerre d’Indépendance américaine . Avec le grade de colonel, il fortifie plusieurs positions américaines avec succès, comme à la bataille de Saratoga en octobre 1777 ou encore à West Point. Il est promu brigadier-général. Il incarnera la lutte contre la Russie pour la libération de la Pologne en 1792-94.

 

Document 8_ Tadeusz Kościuszko  célèbre officier polonais, estampe de François Bonneville, 1797, BNF
Document 8_ Tadeusz Kościuszko célèbre officier polonais, estampe de François Bonneville, 1797, BNF

 

Friedrich Wilhelm von Steuben est un officier prussien, qui passé au service du Roi Louis XVI a combattu également en Amérique, notamment à la bataille de Yorktown en 1781 comme Général-major. Promu Inspecteur général de l’armée américaine, il est considéré comme l’un des pères fondateurs de l’armée américaine.

 

 

 

L’entourage proche du Roi Louis XVI penche en faveur d’une intervention

 

 Le ministre des Affaires étrangères Vergennes (Document 9) souhaite affaiblir l’Angleterre, alors grande rivale de la France et nous avons vu qu’il est favorable à une intervention française dans la guerre d’Indépendance d’Amérique, qui permettrait à la France de remettre en cause l’humiliant traité de Paris (1763) qui l’a privée de la plupart de ses colonies. Il ne s’agit donc pas dans l’entourage du Roi de faire progresser la démocratie et les libertés en Amérique en aidant un peuple révolté contre son Roi, alors que la France est dirigée par un monarque absolu et de droit divin : il s’agit pour la France de prendre sa revanche contre l’Angleterre. On voit bien ici que les motivations des dirigeants sont bien différentes de celles de la noblesse libérale.

 

Document 9_ Le comte de Vergennes par Antoine-François Callet, 1787, Versailles
Document 9_ Le comte de Vergennes par Antoine-François Callet, 1787, Versailles

 

Mais le contrôleur des Finances Turgot (Document 10), en poste de 1774 à 1776, prêche l’économie et parvient à réduire le déficit du budget de l’Etat par 10 (il passe de 220 à 20 millions de livres de 1774 à 76) en abaissant notamment le train de vie de la Cour et le montant des pensions des courtisans. Turgot s’oppose ainsi à une participation de la France dans la guerre d’Indépendance américaine qui éclate officiellement en 1776 et qui coûtera une fortune à la France si elle doit envoyer une flotte et un corps expéditionnaire en Amérique.

 

Document 10_ Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, par A Graincourt, 1782, Versailles
Document 10_ Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, par A Graincourt, 1782, Versailles

 

Le roi Louis XVI (Document 11), toujours très indécis et fortement influencé par son entourage, finit par se ranger progressivement à une intervention. Louis XVI renvoie Turgot parce que les privilégiés s’opposent à ses réformes, mais sans doute aussi parce que Turgot est toujours réticent face à une intervention militaire en Amérique.

 

Document 11_Louis XVI par Antoine-François Callet en 1786, Musée Carnavalet
Document 11_Louis XVI par Antoine-François Callet en 1786, Musée Carnavalet

 

L’aide de la France aux insurgés américains est d’abord indirecte : en octobre 1776, les insurgés américains sont en situation difficile face à l’armée anglaise qui reprend New York. Ils décident alors d’envoyer en octobre 1776 des émissaires en France, dont Benjamin Franklin (Document 12), afin d’obtenir une aide militaire de la France. Benjamin Franklin, qui est à la fois imprimeur, scientifique, franc-maçon et homme politique américain, est un représentant typique du mouvement des « Lumières ». Il est chaleureusement accueilli à Paris et à la cour de Versailles et s’avère un excellent négociateur et diplomate en faveur de la cause américaine car il parvient à développer en France un véritable « lobby » en faveur d’une intervention française en Amérique.

 

Document 12_Benjamin Franklin par Joseph Duplessis en 1785, National Gallery Washington
Document 12_Benjamin Franklin par Joseph Duplessis en 1785, National Gallery Washington

 

Des armes sont d’abord envoyées aux insurgés et des volontaires, recrutés dans la noblesse libérale (cf supra), sont enrôlés dans l’armée américaine.

 

En novembre 1777, les anglais capitulent à Saratoga, cet événement précipite alors l’intervention française, car Vergennes veut éviter une paix désormais possible entre les insurgés et l’Angleterre. En février 1778, la France de Louis XVI conclue un traité d’alliance militaire avec Benjamin Franklin, c’est le prélude à une aide militaire française. La flotte de l’amiral d’Estaing est envoyée en Amérique. De retour en France en 1779 et accueilli en héros, le général La Fayette milite bien sûr pour un engagement militaire soutenu de la France aux Etats-Unis, il voit pour cela le Roi Louis XVI qui le charge alors de la mission d'annoncer au général Washington l'envoi de renforts, soit 5000 hommes placés sous les ordres du comte de Rochambeau, d'où le deuxième voyage de La Fayette aux EU en mars 1780 à bord de la frégate «  l'Hermione » (voir l’article  « La frégate l’Hermione, trait d’union entre la France et les EU »). Le lieutenant-général Charles Eugène Gabriel de la Croix de Castries, devenu ministre de la marine en octobre 1780 (fonction qu’il occupera jusqu’en 1787) réorganise la flotte française en confiant les escadres à des chefs plus offensifs comme le comte de Grasse. Successeur de Turgot au poste de contrôleur général des Finances de 1776 à 81, le banquier suisse Necker doit emprunter au nom de la France pour financer l’intervention en Amérique. En mai 1781, le navire français « Concorde » apporte 6 millions de livres au général Washington.

 

L’aide française aux insurgés, à la foi financière et militaire (navale et terrestre) s’avérera  décisive dans la victoire américaine, au point que l’on peut plutôt évoquer une victoire franco-américaine  (voir l’article « le rôle des forces françaises dans la victoire des américains : de la bataille de baie de Chesapeake  à la bataille de Yorktown, septembre-octobre 1781 ».

 

CM

 

 

 

Sources :

 

Michel DENIS, Noel BLAYAU, Le XVIII e siècle, collection U, 1990

 

Evelyne LEVER, Louis XVI, Fayard, 1985

 

Site Hérodote

 

Site de l’ambassade de France à Washington

 

Wikipédia